La Bucéphale (Phalera bucephala)

Si vous avez regardé le film Microcosmos de Claude Nuridsany et Marie Pérennou, vous vous souvenez peut-être d’une scène montrant tout un attroupement de petites chenilles dévorer une feuille en contre-jour. Il s’agissait des chenilles de la Bucéphale (Phalera bucephala).

Bien qu’elle fasse partie, comme les chenilles processionnaires, de la famille des Notodontidés, la chenille de la Bucéphale ne doit pas être redoutée autant que ses cousines. Ses soies ne sont pas réputées pour être urticantes, et elle est donc sans danger pour l’homme ou pour les animaux domestiques.
Au stade adulte, la Bucéphale fait partie des papillons les plus curieux de la faune française : sa forme et ses motifs le font ressembler à une petite branche de bouleau coupée.

Reconnaître la Bucéphale

La Bucéphale

Cette jolie chenille jaune arbore des motifs noirs et blancs et est couverte de longues et fines soies claires et diffuses. Sa tête est noire et luisante, avec quelques fines soies plus courtes, et elle porte un motif jaune en forme de Y à l’envers, qui la rend impossible à confondre avec une autre chenille. Ce motif est visible à partir du 4ème stade larvaire : avant cela, la tête de la chenille est simplement noire.

Cycle de vie

C’est au cours de l’été que les Bucéphales émergent. De mœurs nocturne, elles volent tard dans la nuit et demeurent immobiles dans la journée, passant aisément inaperçues grâce à leur mimétisme. Après l’accouplement, la femelle dépose ses œufs en plaque régulière sur le revers des feuilles. Hémisphériques, ils sont blanc cassé avec le contour et le centre brun sombre (photo ici). Les jeunes chenilles sont jaunes avec de petites taches brunes et la tête noire. Durant les premiers stades, elles restent groupées et se nourrissent en groupe, serrées les unes contre les autres sur la même feuille. Elles dévorent toutes les feuilles d’une branche avant de passer à la suivante. Au repos, elles se tiennent dans une posture caractéristique, avec la  dernière paire de fausses-pattes relevée. On retrouve cette posture chez d’autres chenilles de la famille des Notodontidés, l’exemple le plus marquant étant celui des Queues-fourchues (genres Cerura et Furcula) : chez ces chenilles, la dernière paire de fausses-pattes est transformée en une paire de longs filaments rappelant une fourche.
À partir du 4ème ou du 5ème stade, les chenilles commencent à se disperser, et s’alimentent isolément sur les feuilles. Peu avant la nymphose, elles s’éloignent de leur arbre, parfois de plusieurs dizaines de mètres, et s’enterrent superficiellement. La nymphose a lieu dans une logette parfois tapissée de quelques fils de soie. L’espèce hiverne à l’état nymphal, parfois deux années de suite, et ce n’est qu’à l’été suivant que les papillons émergent.

Plantes-hôtes

La Bucéphale est relativement polyphage et pond ses œufs sur divers feuillus : Chênes (Quercus), Saules (Salix), Tilleuls (Tilia), Ormes (Ulmus), Noisetier (Corylus avellana), Bouleaux (Betula), Hêtre (Fagus sylvatica), Tremble (Populus tremula), Aulnes (Alnus), Érables (Acer), Viornes (Viburnum), divers Prunus… Au total, des arbres appartenant à plus de 10 familles botaniques différentes ont été référencés comme plante-hôte de l’espèce.
En Lituanie, la Bucéphale est considérée comme ravageuse en raison des dégâts qu’elle peut causer dans les Pommiers (Malus domestica) ; c’est également un ravageur occasionnel en Grande-Bretagne. Une telle réputation ne lui est pas connue dans nos contrées.

Répartition et habitat

La Bucéphale se rencontre dans toute l’Europe jusqu’en Asie, et vole jusqu’à 1700 mètres d’altitude environ. En France, elle est présente partout. On l’observe dans des milieux variés, allant des forêts aux milieux plus ouverts, du moment qu’on y trouve des feuillus.

Étymologie

Le nom scientifique de la Bucéphale est Phalera bucephala. Le nom de genre Phalera vient du nom grec Φαληρόν (phalêrón) lui-même issu de φαλός (phalós) signifiant « blanc ». On peut trouver plusieurs significations à ce nom : durant l’Antiquité, les phalères (φάλαρα) étaient des plaques de métal précieux ou d’ivoire sur lesquelles étaient représentés des figures en relief. Elles étaient portées en collier ou en médaille par les soldats romains qui les recevaient comme décoration militaire. Phalère (ou Phaléros) est également le nom d’un argonaute (compagnon de Jason dans la mythologie grecque) qui donna son nom à un port d’Athènes. Phaleros pourrait également se traduire par « tacheté de blanc » ; c’est cette dernière hypothèse qui est retenue pour expliquer l’origine du nom de genre Phalera, en référence aux motifs blancs des ailes des papillons de ce genre.
En France le genre Phalera est représenté par 2 espèces : la Bucéphale, et la… Bucéphaloïde (Phalera bucephaloides). Cette dernière est localisée dans le Sud Est du pays. Le papillon ressemble à celui de la Bucéphale, mais avec une tache plus grande au milieu des ailes antérieures. Ses chenilles sont plus ternes, avec des motifs moins contrastés.
Le nom d’espèce bucephala vient du grec Βουκέφαλας (Bouképhalas) signifiant « tête de bœuf » (boûs = bœuf,  kephalê = tête), sans doute en référence à la forme particulière de la tête du papillon. Bucéphale est aussi le nom du fameux cheval d’Alexandre le Grand, que lui seul réussit à dompter.

Moyens de défense, prédateurs et parasites

Si le papillon de la Bucéphale est un champion du mimétisme, sa chenille est un peu moins discrète et passe même difficilement inaperçue : on peut souvent voir de loin les « dégâts » qu’elle cause en défoliant les branches des arbres. Peu nerveuse comparé à d’autres espèces, cette chenille ne se défend pas vraiment quand on l’approche, et se laisse prendre en main sans sourcilier.
Certaines sources anglophones présentent la chenille de la Bucéphale comme toxique, et ses couleurs, le jaune et le noir, auraient une fonction aposématique en prévenant les prédateurs du danger qu’elles représentent. Ces chenilles auraient également une odeur désagréable, fait que je n’ai pas remarqué lors de nos rencontres.
La chenille de la Bucéphale a plusieurs parasitoïdes. Les guêpes Ichneumons Pimpla rufipes et Enicospilus ramidulus peuvent pondre leurs œufs dans les chenilles : leurs larves se développent ensuite à l’intérieur de leur corps, finissant par tuer leur hôte. La guêpe Braconidé Cotesia tibialis, très polyphage, procède de la même manière. Ses nombreuses larves, après avoir quitté le corps de leur hôte, tissent un agglomérat de petits cocons individuels dans lesquels elles se nymphosent.
Du côté des Diptères Tachinaires, notre chenille peut être victime de la très polyphage Compsilura concinnata, qui peut parasiter indifféremment plus de 150 espèces de Lépidoptères, d’Hyménoptères et même de Coléoptères. Cette mouche possède un appareil perforateur permettant de déposer ses œufs dans les chenilles, en perçant leur tégument. Une autre espèce très généraliste, Sturmia bella, dépose quant à elle ses oeufs sur les feuilles dont se nourrissent les chenilles. Minuscules et très résistants, ils sont ingérés par les chenilles et éclosent à l’intérieur de leur corps. Enfin, la mouche Nilea hortulana, plutôt parasitoïde des chenilles du genre Acronicta, peut également occasionnellement parasiter les Bucéphales.

Une chenille dangereuse ?

Non, cette chenille n’est pas dangereuse pour l’homme ou les animaux domestiques. Si vous trouvez un « nid » de ces chenilles dans un arbre de votre jardin que vous ne souhaitez pas voir perdre ses feuilles, vous pouvez le déplacer dans un autre arbre plus âgé faisant partie des arbres-hôtes de l’espèce.

Galerie photos (Cliquez sur les photos pour les afficher en grand !)

Bibliographie

  • D. J. Carter, B. Hargreaves, Guide des chenilles d’Europe, Delachaux et Niestlé
  • J-F. Aubert, Papillons d’Europe I, Delachaux et Niestlé
  • B. Henwood, P. Sterling, R. Lewington, Field Guide to the Caterpillars of Great Britain and Ireland, Bloomsbury Wildlife Guides
  • H. Bellmann, Quel est ce papillon ?, Nathan
  • A. Lequet, Biologie et développement de la Bucéphale
  • Morimoto, J., & Pietras, Z. (2020). Strong foraging preferences for Ribes alpinum (Saxifragales: Grossulariaceae) in the polyphagous caterpillars of Buff‐tip moth Phalera bucephala (Lepidoptera: Notodontidae). Ecology and evolution10(24), 13583-13592.
  • Molis, S. (1970). The buff-tip moth (Phalera bucephala L.)-a pest of apple trees. Acta Entomologica Lituanica1, 182-183.
  • Bestimmungshilfe für die in Europa nachgewiesenen Schmetterlingsarten (Lepiforum) : Phalera bucephala
  • Lepidoptera and their ecology : Phalera bucephala
  • Moths and Butterflies of Europe and North Africa : Phalera bucephala
  • Lépinet : Phalera bucephala
  • Artemisiae, le portail dynamique national sur les papillons de France : Phalera bucephala
  • The Ecology of Commanster, Ecological Relationships Among More Than 7700 Species : Phalera bucephala

L’intrus qui se cache sur la photo 5 est une chenille d’Étoilée (Orgiya antiqua) !

Dernière mise à jour de la page : août 2021